"Un champ des possibles infini ?". La place de l'outil technologique dans la littérature numérique contemporaine

"Un champ des possibles infini ?". La place de l'outil technologique dans la littérature numérique contemporaine

Depuis maintenant plusieurs décennies, la rencontre de la littérature avec les sciences informatiques a induit des bouleversements qui dépassent la simple question de la « numérisation » des livres : les possibilités offertes par les nouvelles technologies, et en particulier l'intégration du texte à des univers d'images et de sons, ont provoqué la naissance d’oeuvres « nativement numériques », et suscité de nouvelles pratiques de création. Fiction interactive, hyperfiction, transmedia storytelling, autant de formes émergentes d'une cyberlittérature dont on commence seulement à explorer les infinies possibilités.

Cette journée de séminaire du Master 2 « Humanités numériques » s’intéressera en particulier aux enjeux que pose l’usage des techniques actuelles en termes de création. En renonçant au papier, les écrivains numériques ont acquis une souveraine liberté ; leurs oeuvres, libérées des entraves de l’imprimerie, s’affranchissent du statisme du papier, jusqu’à devenir sur l’écran des unités mouvantes en constante métamorphose. En apparence dégagées de toute entrave matérielle, exonérées de la linéarité, jouant de toutes les ressources de l’hypertextualité, de la disposition graphique, et de l’interactivité, de telles oeuvres semblent n’avoir pour limite que l’imagination des auteurs.

Cet indéterminisme apparent n’est-il pas pour autant tributaire d’autres contraintes qui, si elles diffèrent de celles imposées par la galaxie Gutenberg, n’en imposent pas moins aux oeuvres leurs propres exigences ? D’abord, celle d’une « page-écran » étroitement dépendante du support de visionnage ; ensuite, celle d’une technique à évolution rapide qui accélère leur obsolescence et rend délicat leur archivage ; enfin, celle des outils mêmes auxquelles elles recourent : programmation, webdesign, algorithmes, s’ils soutiennent le geste créateur et autorisent les plus audacieuses expériences verbales, sonores et visuelles, n’en représentent pas moins d’autres cadres au sein desquels la création doit prendre place. Et l’on connaît le rôle ambigu joué par les contraintes dans les processus créateurs – féconde provocation à l’écriture, ou insupportable carcan.
« Toute ma vie, j’ai cru avoir devant moi un champ des possibles infini », écrit Serge Bouchardon au seuil de Déprise (2010) : nous croyons entendre des résonances métatextuelles dans ce propos. N’est-ce pas en effet la vertigineuse liberté expérimentale revendiquée par l’écrivain numérique qui se révèle aussi, in fine, une illusion ?

Nous tenterons de nous demander au cours de cette journée comment les oeuvres numériques résultent d’interactions inédites entre les outils d’aujourd’hui et les projets des écrivains, de façon à mettre en évidence les modalités nouvelles de la « formesens » à l’heure du numérique. Du traitement de texte à Twine ou Scrivener, du détournement d'outils existants comme Twitter au développement dédié, de Flash à Html5, les solutions sont nombreuses et variées, et surtout elles ne peuvent manquer d’entraîner un impact sur les formes et les mécaniques d’écriture. Ce sont ces influences de la technique sur la littérature, et leurs rétroactions éventuelles, sur lesquelles nous nous proposons de faire porter notre questionnement.

Organisateurs : Tony Gheeraert, Mélanie Lucciano et Sandra Provini

Programme détaillé

Friday, 14 December, 2018 - 09:30
Friday, 14 December, 2018 - 17:00